artpress 523
PARIS EXPOSITIONS
PARIS EXPOSITIONS
Sabine Monirys. Messieurs, il fait froid ici
Ayant rencontré Sabine Monirys (née en 1936 à Oran) à la fin des années 1990, je n’avais vu aucun des tableaux ici montrés. L’atelier contenait ses peintures à partir de la fin des années 1980, couleurs fortes et papiers déchirés, ne laissant voir que des regards ; puis les sculptures et collages apparus ensuite. Elle m’avait montré les dessins parus dans le livre En vain l’azur (2001), texte de Nicolas Vatimbella, au Seuil. Les années 2000 et 2010 ont été celles d’un retrait qui n’était pas seulement volontaire, jusqu’à sa mort en 2016.
Entre-temps nous avions beaucoup, souvent parlé de ses travaux en cours, mais aussi de nos vies indépendantes, de cinéma et de littérature – je lui dois l’Excursion des jeunes filles qui ne sont plus d’Anna Seghers. Je la retrouve immédiatement dans les toiles exposées à la galerie Kaléidoscope, datées 1977-1986. Je reconnais son sens d’une nature
vibrante, de la lumière accompagnant l’élan d’une jeune fille ou femme, de dos pour protéger son identité, dans C’était l’été (1976). Chacune de ces femmes, seules, devant un arrière-plan presque vide, obscur, nuageux ; dont le visage est caché par un rideau de cheveux tombants (Elle se leva pour aller au wagon restaurant, 1975) ; dont le corps est enveloppé d’un vêtement trop grand, qui ne permet pas d’en distinguer les formes (la Traversée des apparences, 1976) ; mais qui restent pieds nus. L’ambiguïté de cette beauté dormante, ou morte (On ne doit pas aller dans toutes les chambres, 1977). Je retrouve sa passion d’une actualité brute, qui la conduit à partir de photos de presse
Entre-temps nous avions beaucoup, souvent parlé de ses travaux en cours, mais aussi de nos vies indépendantes, de cinéma et de littérature – je lui dois l’Excursion des jeunes filles qui ne sont plus d’Anna Seghers. Je la retrouve immédiatement dans les toiles exposées à la galerie Kaléidoscope, datées 1977-1986. Je reconnais son sens d’une nature
vibrante, de la lumière accompagnant l’élan d’une jeune fille ou femme, de dos pour protéger son identité, dans C’était l’été (1976). Chacune de ces femmes, seules, devant un arrière-plan presque vide, obscur, nuageux ; dont le visage est caché par un rideau de cheveux tombants (Elle se leva pour aller au wagon restaurant, 1975) ; dont le corps est enveloppé d’un vêtement trop grand, qui ne permet pas d’en distinguer les formes (la Traversée des apparences, 1976) ; mais qui restent pieds nus. L’ambiguïté de cette beauté dormante, ou morte (On ne doit pas aller dans toutes les chambres, 1977). Je retrouve sa passion d’une actualité brute, qui la conduit à partir de photos de presse
pour en transposer les anonymes, saisis sur le vif, dans un non-décor,
ombres, nuit, pluie, ou bien orange, jaune, bleu ; à les propulser ailleurs encore, en donnant pour titre à ses tableaux des citations notées dans des carnets : les trois clowns-soldats masqués de Bon, asseyez-vous et pleurez (1979), riant, sinistres, montrés à la biennale de Venise en 1980, n’ont pas vieilli. L’artiste, comme le montrent ses peintures, n’avait pas peur d’affronter la violence du monde et des hommes, elle leur opposait audace et courage. Farouche, non désireuse de plaire, elle était décidée à faire
ce qu’elle avait à faire, et à le faire connaître. Il faut saluer l’excellent travail de la galerie Kaléidoscope et de sa directrice, Marie Deniau, qui depuis cinq ans présente l’œuvre de « peintres, actifs sur la scène artistique parisienne dans les années 1960 et 1970, [formant cette avant-garde figurative] appelée Nouvelle Figuration ». Après Maryan, Jacques et Ilya Grinberg, ainsi que Recalcati, Marie Deniau a pu, avec l’aide de Robinson Savary, fils cadet de l’artiste, faire redécouvrir Sabine Monirys, grâce à un usage exemplaire des archives et du fonds d’atelier qu’elle avait laissé. À l’écart des hommes de la Nouvelle Figuration comme des femmes remises en valeur, en 2021 au Centre Pompidou, à travers l’exposition Elles font l’abstraction, l’autodidacte apparaît singulière.
Anne Bertrand
ombres, nuit, pluie, ou bien orange, jaune, bleu ; à les propulser ailleurs encore, en donnant pour titre à ses tableaux des citations notées dans des carnets : les trois clowns-soldats masqués de Bon, asseyez-vous et pleurez (1979), riant, sinistres, montrés à la biennale de Venise en 1980, n’ont pas vieilli. L’artiste, comme le montrent ses peintures, n’avait pas peur d’affronter la violence du monde et des hommes, elle leur opposait audace et courage. Farouche, non désireuse de plaire, elle était décidée à faire
ce qu’elle avait à faire, et à le faire connaître. Il faut saluer l’excellent travail de la galerie Kaléidoscope et de sa directrice, Marie Deniau, qui depuis cinq ans présente l’œuvre de « peintres, actifs sur la scène artistique parisienne dans les années 1960 et 1970, [formant cette avant-garde figurative] appelée Nouvelle Figuration ». Après Maryan, Jacques et Ilya Grinberg, ainsi que Recalcati, Marie Deniau a pu, avec l’aide de Robinson Savary, fils cadet de l’artiste, faire redécouvrir Sabine Monirys, grâce à un usage exemplaire des archives et du fonds d’atelier qu’elle avait laissé. À l’écart des hommes de la Nouvelle Figuration comme des femmes remises en valeur, en 2021 au Centre Pompidou, à travers l’exposition Elles font l’abstraction, l’autodidacte apparaît singulière.
Anne Bertrand
Le catalogue de l’exposition (Galerie Kaléidoscope/In Fine, 112 p., 25 euros), avant-propos de Peter Handke, essai de Rakhee Balaram, apporte de précieux éléments de contexte et d’analyse. Un site vient aussi d’être consacré à l’artiste : sabinemonirys.com
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Having met Sabine Monirys (born 1936 in Oran) in the late 1990s, I was unfamiliar with the paintings in this exhibition. At the time, her studio contained her paintings from the late 1980s, with their strong colours and torn paper, revealing nothing but glances; then the sculptures and collages that appeared later. She showed me the drawings that appeared in the book En vain l’azur (2001), written by Nicolas Vatimbella and published by Seuil. The 2000s and 2010s marked a withdrawal that was only partly intentional, up until her death in 2016. In the meantime we talked a lot and often about her work in progress, but also about our independent lives, cinema and literature—she introduced me to L’Excursion des jeunes filles qui ne sont plus by Anna Seghers. All this immediately came flooding back when I saw the paintings exhibited at the Galerie Kaléidoscope, dated 1977-1986. I recognised her feeling for vibrant nature, her sense of light accom-
panying the fervour of a young girl, depicted from behind so as to protect her identity, in C’était l’été (1976). In each of these women, alone against almost empty, obscure, cloudy backgrounds; face hidden by a curtain of falling hair (Elle se leva pour aller au wagon restaurant, 1975); body wrapped in an oversized garment, making it impossible to distinguish its shape (La Traversée des apparences, 1976); feet bare. The ambiguity of this beauty, dormant or dead (On ne doit pas aller dans toutes les chambres, 1977). I was reminded of her passion for unprocessed current events, which led her to take press photos and transpose spontaneous anonymous figures into non-settings, shadows, night, rain, or orange, yellow, blue; to propel them elsewhere still, by titling her paintings using quotations that she jotted down in notebooks: laughing ominously, the three masked clown-soldiers in Bon, asseyez-vous et pleurez (1979), exhibited at the Venice Biennale
in 1980, have not aged. As her paintings show, Monirys was not afraid to confront the violence of the world and of mankind; she stood up to it with audacity and courage. She was wild, indifferent to pleasing people, determined to do what she had to do and
to make it known. We must applaud the excellent work of the Galerie Kaléidoscope and its director, Marie Deniau. For the past five years, they have been presenting the work of “painters who were active on the Parisian art scene in the 1960s and 1970s, [who made up the figurative avant-garde] known as Nouvelle Figuration.” After Maryan, Jacques and Ilya Grinberg, and Recalcati, Marie Deniau has enabled us to rediscover Sabine Monirys, with
the help of Robinson Savary, the artist’s youngest son, thanks to an exemplary use of the archives and studio collections she left behind. Distinct from the men of the Nouvelle Figuration movement and the women whose work was showcased in 2021 at the
Centre Pompidou in the Women in Abstraction exhibition, this self-taught artist stands out from the crowd.
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Having met Sabine Monirys (born 1936 in Oran) in the late 1990s, I was unfamiliar with the paintings in this exhibition. At the time, her studio contained her paintings from the late 1980s, with their strong colours and torn paper, revealing nothing but glances; then the sculptures and collages that appeared later. She showed me the drawings that appeared in the book En vain l’azur (2001), written by Nicolas Vatimbella and published by Seuil. The 2000s and 2010s marked a withdrawal that was only partly intentional, up until her death in 2016. In the meantime we talked a lot and often about her work in progress, but also about our independent lives, cinema and literature—she introduced me to L’Excursion des jeunes filles qui ne sont plus by Anna Seghers. All this immediately came flooding back when I saw the paintings exhibited at the Galerie Kaléidoscope, dated 1977-1986. I recognised her feeling for vibrant nature, her sense of light accom-
panying the fervour of a young girl, depicted from behind so as to protect her identity, in C’était l’été (1976). In each of these women, alone against almost empty, obscure, cloudy backgrounds; face hidden by a curtain of falling hair (Elle se leva pour aller au wagon restaurant, 1975); body wrapped in an oversized garment, making it impossible to distinguish its shape (La Traversée des apparences, 1976); feet bare. The ambiguity of this beauty, dormant or dead (On ne doit pas aller dans toutes les chambres, 1977). I was reminded of her passion for unprocessed current events, which led her to take press photos and transpose spontaneous anonymous figures into non-settings, shadows, night, rain, or orange, yellow, blue; to propel them elsewhere still, by titling her paintings using quotations that she jotted down in notebooks: laughing ominously, the three masked clown-soldiers in Bon, asseyez-vous et pleurez (1979), exhibited at the Venice Biennale
in 1980, have not aged. As her paintings show, Monirys was not afraid to confront the violence of the world and of mankind; she stood up to it with audacity and courage. She was wild, indifferent to pleasing people, determined to do what she had to do and
to make it known. We must applaud the excellent work of the Galerie Kaléidoscope and its director, Marie Deniau. For the past five years, they have been presenting the work of “painters who were active on the Parisian art scene in the 1960s and 1970s, [who made up the figurative avant-garde] known as Nouvelle Figuration.” After Maryan, Jacques and Ilya Grinberg, and Recalcati, Marie Deniau has enabled us to rediscover Sabine Monirys, with
the help of Robinson Savary, the artist’s youngest son, thanks to an exemplary use of the archives and studio collections she left behind. Distinct from the men of the Nouvelle Figuration movement and the women whose work was showcased in 2021 at the
Centre Pompidou in the Women in Abstraction exhibition, this self-taught artist stands out from the crowd.
Anne Bertrand
The catalogue (Galerie Kaléidoscope/In Fine, 112 p., 25 euros), with a foreword by Peter Handke and an essay by Rakhee Balaram, provides valuable context and analysis. A new website has also been dedicated to the artist: sabinemonirys.com